Lettre ouverte à Camille Etienne

En refermant votre livre, Pour un soulèvement écologique (Seuil, mai 2023,176p), me vient le besoin de vous écrire. Votre propos lucide et clair rend votre colère saine et sincère, communicative. Nous en avons besoin. Votre argumentaire est bien documenté sur l’état des lieux et la lourde responsabilité de ceux qui ont et continuent délibérément de tromper l’opinion et ceux qui laissent faire. Enfin, votre tour d’horizon de nos réactions, de nos peurs, de nos freins de nos lâchetés et des moyens de les dépasser afin de rejoindre votre appel au soulèvement amènent à recommander sa lecture.

Camille Etienne

Camille Etienne

Reste qu’il n’est pas facile d’imaginer ce que vous entendez par soulèvement. Surtout, quelle forme cela pourrait prendre concrètement sur le terrain ? A l’extrême, s’agit-il d’un remake de la Commune de Paris portée par 3,5 % de la population qui serait un seuil décisif ? Ou un nouveau rêve de grand soir type mai 68 ? Si oui, que faut-il en attendre, tel que le monde est aujourd’hui organisé, tout au service des puissants, y compris les médias de masse ?

Qu’il faille comme vous le martelez maintenir une forte pression sur les décideurs pour exiger qu’ils fassent leur boulot, bien sûr. Mais, dans le même temps et vu l’urgence, en tant qu’acteurs indispensables de cette société de surconsommation qui est la cause de tous les maux, peut-être pourrions-nous agir sur ce levier décisif ?

Plusieurs sondages attestent que 70 % de nos concitoyen.nes s’attendent à réduire leurs consommations. Ils ont compris. Le terrain n’est-il pas favorable à une campagne de communication massive portée par tous les mouvements écologistes sur le thème d’un retour volontaire, chacun à nos seuls justes besoins ? Ainsi, sans attendre leur bon vouloir, nous coupons l’herbe sous le pied des croissantistes fous avant qu’ils aillent au bout de leur projet à eux, qu’André Gorz prédisait être barbare.

Remplir le caddy est devenu une unité de mesure du bonheur ?

Remplir le caddy est devenu une unité de mesure du bonheur ?

Allons plus loin. Nous parlons là d’un nouveau modèle économique qui rompt radicalement avec le marché puisqu’il ne prendra en compte que les vrais besoins des gens. Ce n’est pas compatible avec le capitalisme qui déclinera en libérant progressivement la place pour une économie sociale, solidaire et écologique. Elle existe déjà et pèse quelque 8 % de notre PIB. Cela consistera à l’étendre en répliquant des modèles qui ont fait leurs preuves. Nous en rêvons, allons-y !

Et pour ne pas rester dans les vœux pieux, l’heure est venue d’être encore plus précis, pour être crédible et donner envie d’y aller. En répertoriant assez précisément les besoins essentiels des gens sur un territoire type, village, quartier, bourg, cantons et en imaginant la nouvelle structuration économique et sociale qui permettra de les satisfaire en privilégiant la proximité et, chaque fois que ce sera possible, les Communs, pour assurer productions, distribution et services. Une étude pour témoigner que c’est possible avant d’en faire autant de plans d’action adaptés à chaque territoire, décidés et portés par des groupes locaux de citoyen.nes. En prime, autant de retrouvailles dans le voisinage et la convivialité.

Temps et financements nécessaires à ces investissements dans « Un nouveau monde (…) possible » qui était déjà le slogan d’Attac il y a 20 ans, proviendra en partie de la déconsommation. Une manière assez logique et naturelle de reprendre le pouvoir sur notre économie dont nous serons actionnaires au seul profit de l’intérêt général et du bien commun.

Un article récent de Reporterre titre : « Beaucoup d’ingénieurs doutent mais ne désertent pas ». Il est signé Olivier Lefebvre, lui-même transfuge. Ils n’osent pas faire le pas, peut-être leur manque-t-il un scénario crédible dans lequel ils auraient leur place ?

En conclusion Camille, septuagénaire et témoin d’un gros demi-siècle de trahisons sur le plan politique face à des électorats manipulés et/ou impuissants, mon intuition est qu’il reste peut-être une chance que la transition soit civilisée (encore André Gorz). Cet impératif incontournable de déconsommation qui seul peut sauver le vivant et que les puissants dissimulent parce qu’il se réservent de nous l’imposer à leur sauce, est complétement incompatible avec le système économique en l’état. Cette surconsommation, nous en sommes le gouvernail Camille, il suffit de pousser sur la barre... c’est une opportunité qui ne se représentera pas de reprendre main sur notre économie et par là sur la Vie.

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