Au lac Léman, le cycle de l’eau enrayé par le changement climatique

Le lac Léman s’enraye. Pour la 11e année consécutive, le mélange des eaux de ce très grand lac, ligne de partage Franco-Suisse, subit un dérèglement, mettant en danger l’écosystème. En cause, le réchauffement climatique.

Lavaux sur le Léman par Giacomo Legnani
Lavaux sur le Léman © Giacomo Legnani, via Wikimedia Commons

Le réchauffement planétaire impacte de plus en plus fortement les grands lacs. Pour la 11e année consécutive, le lac Léman, ligne de partage franco-suisse, n’a pas fait de brassage complet. Ce lac, qui mesure 73 km de long, atteint des profondeurs de 309m. Le cycle d’échange des eaux a été mesuré cette année jusqu’à 120m de profondeur, ce qui met en danger l’écosystème.

Le brassage des eaux, c'est ce phénomène naturel qui intervertit les eaux de surface et celles des profondeurs en fonction de leur température. En été, l’eau de surface est plus chaude et plus oxygénée. L’eau des profondeurs, plus froide, aux alentours de 5°c, est plus riche en nutriments. Quand vient l’hiver, l’eau de surface se refroidit à 4° ou en dessous. Plus dense que l’eau profonde, elle se mélange, amène l’oxygène en profondeur et fait remonter les nutriments. Ce phénomène se produit chaque année, même si un brassage complet n’était observé que tous les 3 ou 4 ans.

Au vu des derniers relevés scientifiques de la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman (CIPEL) il y a un réel danger pour la vie aquatique. La commission alerte : « Le fond du lac se réchauffe et la teneur en oxygène au fond du lac est faible, ce qui entraîne des conséquences néfastes sur l’état de santé du lac. » Frédéric Soulignac, collaborateur scientifique de la CIPEL a répondu à nos questions.

Quels sont selon vous les effets chiffrables aujourd'hui de ce phénomène sur la faune et la flore ? Peut-on déjà identifier des dommages ?   
Plusieurs groupes d’organismes, vivants dans les sédiments du fond du lac, ont été analysés en 2015 (3 ans après le dernier brassage complet de 2012). L’impact du manque d’oxygène était conséquent : faible abondance de vers, pas de larves d’insectes, pas de mollusques et une qualité biologique mauvaise des sédiments. Le prochain état des lieux sera réalisé en 2025. On ne peut pas s’attendre à ce que la situation s’améliore sans un brassage hivernal complet. Par rapport à certaines espèces emblématiques de poissons comme l’omble chevalier qui a besoin de basses températures, c’est problématique, car les couches profondes froides sont désoxygénées. On ne chiffre pas encore cet impact, car les captures ne semblent pas baisser.

Qu’en est-il du plancton, souvent considéré comme un indicateur de la qualité des eaux ? 
Le phytoplancton a besoin de nutriments (phosphore en particulier) pour se développer. Or, en l’absence de brassage hivernal complet, la remise à disposition des nutriments dans la couche éclairée (là où le phytoplancton se développe) est limitée. Pareil, on ne chiffre pas encore cet impact, car la biomasse moyenne annuelle de phytoplancton est à peu près stable.

Ce qui arrive au Léman se reproduit-il pour les autres lacs du monde ? 
Le Léman n’est pas un cas isolé. Tous les grands lacs alpins subissent de plein fouet l’intensification des effets du changement climatique avec pour finalité des brassages hivernaux moins intenses. La communauté scientifique s’accorde à dire que les régimes de mélange des lacs vont changer à l’avenir. Certains lacs comme le Léman qui se brassaient complètement certaines années pourraient ne plus jamais se brasser complètement.

Marie-Elodie Perga, professeur de limnologie(1) à l'université de Lausanne, préconise de limiter les rejets de phosphates. Est-ce une solution applicable concrètement ?  
D’accord avec Marie-Elodie. Maîtriser nos apports en phosphore au Léman est nécessaire pour maintenir l’écosystème lacustre en bonne santé et garantir les services écosystémiques. On l’a bien vu dans le passé avec l’eutrophisation(2). Les objectifs de performance de déphosphatation dans les STEP(3) sont bons (même s’ils sont en dessous des objectifs de la CIPEL). Toutefois, une partie importante des apports en phosphore au lac (estimation entre 15 et 30%) est due aux déversements d’eaux usées ou mélangées (non traitées) par temps de pluie. La CIPEL travaille actuellement à prescrire des objectifs limitant ces déversements.

Peut-on envisager des solutions artificielles à l'enrayement du Brassage des lacs ?  
Malheureusement, il n’est pas possible de brasser artificiellement le Léman, car son volume est trop important. C’est néanmoins une technologie qui existe pour les petits lacs.


(1) Limnologie : L’étude biologique et physique des eaux stagnantes.           
(2) L’eutrophisation : Apport excessif d'éléments nutritifs dans les eaux, entraînant une prolifération végétale, un appauvrissement en oxygène et un déséquilibre de l'écosystème.           
(3) STEP : Stations d’épuration des eaux usées.

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