CIVILIZATION : CE QUE LE JEU NE NOUS DIT PAS

Note de l’auteur : cette critique se veut être une interrogation des limites de notre imaginaire et de nos projections tel que révélée par les possibilités offertes dans le cadre d’un jeu à succès. Elle n’est en aucun cas un appel à boycott pour le jeu concerné, simplement un appel à penser au-delà des possibilités offertes par celui-ci.

Vous êtes Frédéric 1er Hohenstaufen, Empereur des Allemands. Votre glorieuse armée, couplée à votre gouvernance fasciste, fait de vous un adversaire redoutable. Vous allez bientôt conquérir toutes les capitales du monde ! Malheureusement pour vous, Pierre le Grand des Russes vous a grillé la politesse en envoyant sa population coloniser une planète lointaine.

Illustration civilisation

Voilà sans exagération le type de scénario que l’on peut trouver durant une partie du jeu Civilization, disponible sur PC. La saga conçue depuis 1991 par Sid Meier a déjà fait l’objet de critiques sérieuses mais reste l’un des jeux les plus vendus au monde . Fidèles à la ligne éditoriale de notre journal, nous allons apporter notre questionnement : Civilization est-il un jeu consumériste ?

Il peut l’être pour deux raisons. La première en tant que jeu. Est-il un jeu qui nous pousse à consommer d’avantage, voir sans limite ? La seconde, plus intéressante encore, se déduit du monde qui y est dépeint, car Civilization est un jeu - comme tant d’autres - où l’on joue le monde. On contribue à le façonner et à interagir avec lui en tant que dirigeant d’un peuple. Les possibilités qui sont ainsi offertes dans le jeu sont donc un trésor : elles sont le reflet même de ce qui nous paraît possible de faire en tant que société. Une projection sur ce qui nous paraît possible et, au contraire, infaisable. Tout d’abord donc, quel type de jeu est Civilization ?

Incontestablement, c’est un jeu addictif. Chaque joueur.se connaît le syndrome du « juste un dernier tour » , pensant pouvoir se délecter de 5 minutes de jeu supplémentaires avant de s’en que retirer des heures plus tard. Cela ne vous rappelle rien ? La recherche de l’addiction dérive de « la création du besoin », un des piliers de notre modèle économique. Les programmes télévisuels, les chaînes de fast-food et la fast-fashion s’appuient sur ce rapport addictif de la clientèle à ses produits. Le but ici étant de vendre des extensions du jeu, plus chères encore que le jeu lui-même. L’objectif de sa production est donc, sans surprise, notre consommation. Quitte à rechercher l’addiction des joueur.ses ! Pourtant, ce qu’il y a de plus intéressant est la manière avec laquelle les possibilités du jeu illustrent une vision bien étriquée de notre rapport au vivant et à l’avenir.

Dans Civilization, l’humanité semble vivre sur un long fleuve tranquille. Les ressources naturelles ne s’épuisent quasiment jamais, la démographie est globalement stable, les rendements de l’agriculture ne peuvent que progresser, la radioactivité d’une explosion nucléaire peut se nettoyer, le capitalisme créé des richesses sans créer de pauvreté et le réchauffement climatique est un paramètre peu encombrant qui sera facilement ménagé par les progrès scientifiques. Comment mieux illustrer le déni dans lequel se trouvent nos sociétés vis-à-vis des chocs environnementaux et sociaux à venir ?

Dans la réalité, l’impact des activités humaines sur le vivant est un anthropocène c’est-à-dire un bouleversement tel qu’il nous a fait entrer dans une nouvelle ère géologique. Bien qu’il n’est qu’un jeu, Civilization illustre comiquement une incapacité à conceptualiser les enjeux environnementaux et sociaux à venir. Il y a toutefois quelque chose de plus important encore sur lequel le jeu se trompe. Dans Civilization, tout le vivant est figé et quantifiable. La culture est un bien qui se mesure, la faune et la flore ne se transforment ni ne migrent jamais, l’humanité elle-même - sur les plans scientifique et culturel - ne peut évoluer que dans une direction. L’or, par ailleurs, est l’unique mesure de richesse et les populations des différentes civilisations semblent ne jamais se rencontrer. Ici, ce que le jeu n’arrive pas à faire (et cela n’est pas lui faire offense car son support informatique ne le permet peut-être pas) c’est à rendre compte de toute la complexité du vivant.

L’évolution du vivant est buissonnante, imprévisible et immaîtrisable. Les progrès scientifiques humains ne vont pas dans une direction figée par avance mais dans toutes. Les cultures sont inquantifiables et elles s’enrichissent par leurs échanges. En résumé, ce que Civilization n’arrive pas à faire, c’est à rendre compte de toutes les possibilités du vivant et de celui de l’espèce humaine en particulier. Il est facile de parier que l’avenir prédit par le jeu, un avenir où les crises environnementales seront dépassées par des progrès techniques sans bouleversement social, ne se réalisera pas. Plus encore, le jeu se trompe en limitant les possibilités des évolutions humaines. Mesurer cette dernière avec une approche statique et quantifiable, comme le fait le PIB en économie, revient à vouloir mesurer les forces de la mer avec une règle. Pour mesurer les progrès humains, il nous faudra inventer des indicateurs nouveaux capables de mieux rendre compte de paramètres essentiels comme la richesse de la biodiversité ou de l’échange du savoir. En économie encore, ce projet porte un nom : la décroissance.

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