À QUI FAISONS-NOUS CONFIANCE POUR NOS DONNÉES ?

Accepter machinalement les cookies, mettre un like sur un post Instagram, faire une recherche sur Google...autant de gestes aujourd’hui devenus courants tant le digital a pris une place considérable dans notre quotidien. Derrière tous les avantages qu’apporte l’interconnexion s’étend un terrain de jeu infini pour la logique de marché capitaliste qui peut alors explorer de nouvelles formes de violence et d’oppression.
Shoshana Zuboff en décrypte les rouages dans "L’Âge du Capitalisme de Surveillance".

Professeure émérite de la Harvard Business School, Shoshana Zuboff est elle-même à l’origine de l’expression "capitalisme de surveillance" qu’elle définit comme un système économique articulé autour de la capture et de la marchandisation des données personnelles à des fins de profit. En 2019, elle publie L’Âge du Capitalisme de Surveillance qui enquête sur les géants de la tech et sur leur nouvelle stratégie d’invasion : c’est, selon elle, un tournant majeur pour le capitalisme.

Vendre tout en restant compétitif signifie d’abord bien connaître sa clientèle, mais cela implique ensuite une certaine capacité d’analyse du comportement humain pour savoir comment convaincre, que proposer, à qui, quand et comment. Dans un tel contexte, le challenge pour les grandes entreprises, c’est celui d’obtenir des données avec le plus de pouvoir prédictif possible. Ainsi, lorsque Google AdWords et donc les sociétés de publicité ont réalisé qu’avec les données personnelles récupérées sur le net s’ouvrait un champ des possibles considérable une nouvelle forme de ciblage est née.

Capitalisme-surveillance

Ce qu’observe Zuboff va néanmoins beaucoup plus loin. Il ne s’agit plus seulement de connaître et anticiper les comportements des consommateurs, mais de les influencer,de les modifier. Ainsi, on ne parle plus d’automatisation de l’information, mais d’instrumentalisation du comportement humain. Nous ne sommes donc plus de simples consommateurs avec un libre-arbitre intact. Nous échangeons notre vie privée contre la "gratuité" des services offerts par Internet. Tout ce que nous considérons de plus intimes, nos pensées, nos souvenirs, nos émotions, nos convictions, dont nous laissons chaque jour quelques traces sur le net, deviennent des sources fondamentales de profit. La perspective de construire un futur autre que celui programmé pour nous est profondément compromise. Selon Zuboff, l’économie de surveillance est devenue l’expression dominante du capitalisme dans l’ère numérique. Il s’agit d’une nouvelle forme de marché qui se sert de l’expérience privée des individus comme matière première pour la production et la vente. Ces opérations d’extraction sont discrètes et insidieuses.

Zuboff explique : « Les connections sont devenues des armes : plus nous nous connectons et plus nous donnons d’informations personnelles. Ils ont appris à prendre beaucoup plus de nous que ce que nous savons. »

Dans une recherche sur la genèse du capitalisme de surveillance, on découvre que ce dernier a été élaboré comme une stratégie à partir du début des années 2000 à un moment de crise numérique au sein de la Silicon Valley. Zuboff souligne qu’au début du 21ème siècle, l’objectif de Google était initialement d’éviter la faillite. Or, Google fait une découverte cruciale. Il existe des traces numériques du cheminement de recherche des individus. Au sein de ces cheminements, il y a des signaux intéressants pour la prédiction comportementale des utilisateurs : c’est le « surplus comportemental ». Ces données jusqu’alors non utilisées incarnent un nouvel horizon. Le projet ? Présenter ces données aux clients publicitaires mais conserver l’information comme une boîte noire. L’expérience humaine devient la matière première.

Le capitalisme de surveillance est redoutable surtout parce qu’il joue avec les zones grises. Utiliser des données pour cibler sans consentement relève de l’illégalité, pourtant ce processus fonde le capitalisme de surveillance. C’est pour cela que ces systèmes sont cryptés. Le système technique est indéchiffrable : la réalité de ce que Google fait vraiment de nos données nous est particulièrement difficile d’accès. La stratégie est également rhétorique : tout ce qui nous est présenté, calculé précisément sur nos données personnelles, semble un cadeau qui tombe à pic alors qu’il s’agit en réalité d’une menace. Le capitalisme de surveillance n’est ni un résultat inhérent à la technologie numérique, ni une expression nécessaire du capitalisme de l’information. C’est une dangereuse déviation du capitalisme vers une forme intrusive de personnalisation.

Et alors, à qui faisons-nous confiance pour nos données ?

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