SCOP et SCIC à l'Épreuve du capitalisme

Malgré une croissance notable en 2022, les SCOP et SCIC, entreprises de l’ESS, représentent une fraction minime du paysage entrepreneurial français. Cyrille Rodriguez, délégué de la région PACA, aborde les obstacles à leur expansion et un certain antagonisme avec le capitalisme.

10 ans de la coopérative de mai
10 ans de la coopérative de mai, festival de musique associatif © Ville de Clermont-Ferrand

En 2022, les acteurs des Sociétés Coopératives de Production (SCOP) et des Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC) ont fièrement mis en avant leurs chiffres de croissance. « Avec 4406 SCOP et SCIC, 81968 emplois et 8,4 milliards de chiffres d’affaires, notre mouvement démontre par son développement qu’un autre modèle de société est plus que jamais possible. » On ne peut pas nier une croissance soutenue de ces entreprises de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), en résultats, comme en nombre. Mais au regard de l’enjeu principal : construire un autre modèle de société, il faut bien admettre un échec latent. Il y a 3,82 millions d’entreprises en France (INSEE 2018). 96 % d’entre elles sont des micro-entreprises comptant de 1 à 10 salariés et emploient 2,4 millions de salariés. Autant d’entreprises qui auraient pu être des SCIC ou des SCOP, si les créateurs avaient été orientés vers ce type de structure.

Les SCOP ont bien tenu face à la crise covid et à l’inflation (+3 points de taux de pérennité à 5 ans). Elles ont connu une croissance de 11 % du Chiffre d’affaires (CA) global en 2022. Et 65 % des entrepreneurs le sont d’abord pour devenir leur propre patron (selon un sondage YouGov pour Capital). Alors, qu’est-ce qui entrave la présence des SCOP et SCIC dans le paysage des entreprises françaises ?

Depuis leur naissance en 1831, les entreprises coopératives ne sont pas des plus compatibles avec le capitalisme. En février 2022, Eric Forti, Président de la CRESS Île-de-France, a souligné l'importance de la gouvernance démocratique dans les entreprises de l'ESS(1) pour contribuer à la réduction des inégalités et a critiqué « la cupidité insoutenable des actionnaires » dans le capitalisme traditionnel. Il plaide pour que l'ESS humanise le capitalisme, en évitant les excès observés, notamment dans les secteurs d'intérêt général.

Pour mieux comprendre les enjeux, les défis et les perspectives des SCOP et SCIC, nous avons rencontré Cyrille Rodriguez, délégué régional des SCOP de la région PACA.

Selon vous, qu’est-ce qui donne sa dynamique actuelle aux SCOP et SCIC ?
Il y a un réseau qui par notre présence (union régionale) ne fait qu’augmenter. Cette volonté de le développer y est pour beaucoup à mon avis. Deuxièmement, on a cette notion de sens dans l’entrepreneuriat, qui fait qu'au-delà du métier, du produit ou de la qualité de prestation, il y a le système de gouvernance qui devient important.

Pouvez-vous nous donner des exemples de la manière dont les coopératives intègrent les dimensions sociales et environnementales dans leurs projets ?
Selon les activités et la raison de la création, ça peut ne pas transpirer d'emblée. […] Après les exemples types : c'est parfois dans le métier dans lequel ils se lancent, mais pas plus. Par contre, il y a cette notion de réseautage, de rester dans cette famille de l’ESS. Ce sont des personnes qui ont une vision du monde, avec un ADN de faire attention avec qui on travaille. Et surtout aussi derrière, il y a la question des bénéfices. Souvent, cette notion de développement durable se matérialise par le fait de prévoir l’avenir. Et cela, la SCOP le permet. Statutairement, on a déjà des atouts de base : Démocratie, justice sociale...

Les SCOP sont des lieux de démocratie au travail, très loin des modèles traditionnels. Si vous deviez les comparer, quelles seraient les différences majeures ?
La grande différence, c'est que les salariés doivent être propriétaires de leur entreprise, à 70 % à peu près. Bien souvent, la démocratie, elle se joue avant le travail, elle se joue dans le projet, elle se joue dans la stratégie. Elle se joue dans les valeurs qu’on va mettre en avant. Tout n’est pas décidé démocratiquement, mais les modes de décision ont été validés démocratiquement. Par contre, la genèse, la communication, le fait d’être informé sur les finances et les objectifs, ça, c'est décidé démocratiquement.

Malgré ces qualités, est-ce que les SCOP et SCIC, et plus généralement l’ESS ont un problème avec un système capitaliste ?
Problème, je ne sais pas. Posture bien évidemment. Interne et externe. Interne, c’est que de principe, le mot business fait peur. Dans l’ESS, les ADN sont complètement différents quand même. Une association à but non lucratif doit rendre un service à ses adhérents. Les mutuelles, ont une vocation très sociale, avec une mission bien particulière. Les fondations aident sur des entreprises curatives. Et après, on a les coopératives. Ce sont les seules structures de l’ESS à s’inscrire au tribunal de commerce. Rien qu’en disant cela, on voit que la posture de l’ESS et le business du grand capital ça va pas ensemble.

Est-ce à cause de cette inadéquation que les structures de l’ESS ne se développent pas plus ?
Moi, je pense. Maintenant les choses ont changé. On voit que le business pour le business ça ne sert à rien. La mutation de l’ESS est en train de se faire, dans le sens où une association curative a aussi une valeur d’utilité sociale, de plus-value sociale… Aujourd’hui, le grand capital, c'est business, CAC40, etc. Donc il y a une évolution qui va se faire, mais tant qu’on est sur ces postures capitalistes, l’ESS aura, à mon avis, des difficultés à se développer.

Les banques prêtent moins aux SCOP, l’État sous-finance l’ESS, les lieux d’information pour les créateurs oublient de parler des SCOP. Il y a un antagonisme volontaire ?
La culture capitaliste est encore bien présente. Aujourd’hui, dire à un créateur d’entreprises, à un commissaire aux comptes, un expert-comptable ou un avocat que l’entreprise ne va pas se vendre, c’est pas possible dans leurs schémas. On comprend bien que si on veut résoudre des problèmes de citoyens, il va falloir s’organiser.

Est-ce que l'objectif des SCOP et SCIC devrait être d’humaniser le capitalisme, ou pensez-vous qu'elles devraient viser un changement plus radical ?
Là, je ne peux parler qu’au nom de Cyrille. Bien évidemment, c’est le système capitaliste qui nous fout dans la masse. Mais les SCOP et les SCIC doivent respecter les règles du jeu. Beaucoup de sociétés se cassent la gueule si elles ne respectent pas les règles. On peut colorer le système d’autres idées, mais on doit respecter les règles.

Quelle est votre vision de l'avenir des SCOP/SCIC dans le contexte de la transition écologique et économique ?
Dans le contexte de transition écologique, on n’a aucun souci, on est encore plus force de proposition et on est porteur de sens. La problématique qu’on a, c'est sur la notion de travail qui est en train de changer. Le contrat de travail change, la posture des jeunes change. Les jeunes changent souvent de poste, et s’investir dans une entreprise pour longtemps, y compris dans le capital, c’est plus difficile. Mais je pense que les SCIC vont énormément se développer dans l’avenir.

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(1) L’ESS est une forme d’économie représentant 200 000 entreprises et 2,5 millions d’emplois. Qui génère plus de 10 % du PIB Français.