40ᵉ AGORAé pour les étudiants précaires

Confrontée à une montée inquiétante de la précarité étudiante, la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) intensifie son soutien à travers les AGORAé et appelle à une action gouvernementale urgente.

Faculté d'Avignon, archives photo par M.L. via Dauphiné Libéré

À Avignon comme partout, la précarité étudiante menace. Archive © Dauphiné Libéré / M.L.

Une enquête de l’IFOP pour Cop1, association d’aide aux étudiants, indique que 36 % d’entre eux se privent régulièrement d’un repas par manque d’argent. Un chiffre qui monte à 58 % pour ceux inscrits à l’aide alimentaire. 39 % des étudiants ont renoncé à se chauffer l’hiver passé. Ils sont 61 % chez les bénéficiaires de Cop1. La pauvreté des étudiants s’aggrave dans des proportions alarmantes. Sans emploi stable, ils ont été peu aidés durant la crise de la COVID. L’inflation les a touchés beaucoup plus durement que la moyenne de la population, du fait de leurs budgets déjà réduits, largement consacrés à l’alimentaire et au logement.

La FAGE, créée en 1989, regroupe plus de 2000 associations étudiantes et dépasse les 300000 inscrits. En 2011, elle crée les AGORAé, des épiceries solidaires pour les étudiants précaires. Ces épiceries, gérées par des bénévoles d’associations locales, devaient répondre à l’urgence. Début octobre, ils ont inauguré la 40ᵉ AGORAé française à Avignon.

Sarah Biche, vice-présidente, chargée des affaires sociales de la FAGE, est au cœur de ces initiatives. Dans cette interview, elle répond à Demain en mains, sur les apports de ce projet, mais aussi sur ce que l’existence de ces épiceries implique.

Bonjour, Sarah Biche. Concrètement, qu’est-ce qui caractérise un étudiant précaire en 2023 ?
Un étudiant précaire peut être dans une situation très urgente, mais c’est aussi parfois un étudiant qui n’a pas de quoi s’acheter du matériel, un étudiant qui est obligé de travailler pour vivre. C’est un étudiant qui va louper toute la partie autre que l’enseignement universitaire. La vie universitaire, ce n’est pas qu’un lieu de formation, c’est aussi un lieu d’émancipation, de culture intellectuelle, de vie sociale… de plein d’autres choses, qui réduisent les inégalités socioculturelles.

Cette précarité, elle touche aussi les classes moyennes désormais ?
Oui, totalement. On a beaucoup d’étudiants de classes moyennes qui sont dans des situations de précarité, voire carrément de pauvreté, notamment à cause de certains mécanismes d’aides sociales qui les excluent de la bourse, en prenant en compte les revenus des parents, mais pas leur situation individuelle.

La FAGE a inauguré sa 40ᵉ AGORAé en France ce 4 octobre 2023. En êtes-vous fière ?
Fière de permettre aux étudiants de s’alimenter correctement et d’avoir un espace d’accompagnement social, d’expression, de lutte contre l’isolement, oui. Fière de mobiliser autant de bénévoles tous les jours, alors qu’ils sont eux-mêmes étudiants, pas tellement. Parce qu’on se rend compte, de plus en plus, qu’on porte la lutte contre la précarité, avec d’autres associations, et que le gouvernement se dédouane complètement de ses responsabilités.

Ces épiceries solidaires ont-elles vocation à disparaître ?
Effectivement, ce qu’on espère le plus, c’est qu’on puisse les fermer ces AGORAé, en tout cas pour la partie épicerie, et qu’elles ne soient que des lieux de vie et des tiers-lieux culturels.

L’existence de ces structures, n’est-ce pas une défaillance importante de notre système ?
Si ! Le fait qu’il y en ait de plus en plus, et surtout qu’elles existent depuis si longtemps, ça marque une défaillance. Qu’une association puisse déceler un besoin social, à un instant T, le prendre en charge, le faire remonter et que cela devienne ensuite une mission d’un service public, et que les moyens soient mis, ça paraît être dans l’ordre des choses. Par contre, là, les AGORAé ça fait 12 ans qu’elles existent, 30 ans que, du côté de la FAGE, on demande une réévaluation des bourses, que les Restos du Cœur et Le secours populaire agissent et alertent tous les ans…
Donc, on est là, selon nous, dans un choix politique de ne pas agir et de subventionner des assos pour le faire à la place.

Le gouvernement ne vous entend pas ?
On en a l’impression en tout cas, d’avoir un gouvernement et donc un président qui n’écoute pas ce qui se passe et qui globalement n’est pas sensible à l’urgence sociale qu’on est en train de dépeindre, à la sonnette d’alarme qu’on est en train de tirer, avec toutes les organisations. Depuis trop longtemps la situation s’aggrave, et en plus sur des mesures qui sont faciles à mettre en place.

Dans vos pratiques comme dans vos principes, vous défendez l’écologie et la justice sociale. Est-ce que le capitalisme est compatible avec l’écologie ?
Je pense qu’on a un réseau qui est très pluraliste. On n’aura pas une position tranchée. En tout cas, dans la forme que cela prend maintenant, en termes de transition écologique, je pense qu’il n’y aura pas de débat. Oui, on ne peut pas se battre pour l’écologie si on a de grandes multinationales qui, globalement, capitalisent tous les moyens pour le faire et qui n’appliquent pas les changements. Sur cette vision-là, effectivement, on se bat forcément contre toutes ces dérives-là.

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