Marketing viral, l’aliénation 3.0

En surfant sur les réseaux sociaux et en faisant de l’internaute un publicitaire, les marques utilisent les fonctionnements fondamentaux de la construction de l’individu pour toucher plus de cibles. S’identifiant aux influenceur.euses, les jeunes sont particulièrement aliénés par ce mécanisme de vente.

foule de cow-boys et cow-girls

La sociabilisation a besoin d'appartenance. L'appartenance a besoin de se reconnaître dans des signes extérieurs de ressemblance.  ©Pixabay

Ford, au XIXᵉ siècle, s’est servi du mimétisme social pour s’accaparer le marché des classes populaires. En créant un modèle de véhicule spécifique, en augmentant le salaire de ses ouvriers, en placardant de grands panneaux publicitaires, les ventes de ces voitures ont pu grimper. Sur le plan comportemental, le mimétisme est un mécanisme fondamental de l’apprentissage humain. On n’apprend pas à un enfant à marcher, ni à parler. Il imite, expérimente et intègre le savoir-faire et le savoir-être. Il en va de même pour sa sociabilisation, et ce, toute sa vie.

Pascal écrit dans Preuves par discours I que « la coutume est notre nature ». L’être humain a besoin de se reconnaître et d’appartenir à un groupe, une communauté pour s’épanouir en sécurité. Pour que cette appartenance se réalise, des schémas structurels se juxtaposent et travaillent inconsciemment l’individu. Le mimétisme social est l’un d’eux. Il consiste donc à imiter les membres de son groupe d’appartenance, afin de créer cohésion et solidarité.

Depuis plusieurs années, le marketing viral se déploie sur les réseaux sociaux. Il repose sur un effet de contamination du consommateur par la propagation de la publicité envoyée par et pour les internautes. La stratégie est d'attirer l'attention de la personne connectée aux réseaux et d'en faire en même temps un consommateur et un communiquant pour la marque, diffusant le contenu reçu à ses ami.es, à sa communauté, qui partage ensuite à d'autres. Les cibles sont aujourd’hui communautarisées pour étendre la zone d’influence du message publicitaire. Pour cela, il faut que l'intérêt du consommateur s'identifie à l'intérêt du service, de l'influenceuse ou de la marque. C'est cette implication des consommateurs qui permet de réaliser une campagne exponentielle, rapide et à bas coût.

Ce phénomène, qui touche beaucoup les plus jeunes, alarme jusque dans les rangs des législateurs. Une loi visant à instaurer la majorité numérique à 15 ans a été adoptée le 29 juin par le Sénat, à l’unanimité.

Lucie, 37 ans, directrice marketing dans une grande entreprise de cosmétique, témoigne des politiques marketing. Elle a souhaité rester anonyme.

Bonjour Lucie, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste le marketing viral. 
Il s’agit d’un mouvement établi dans les années 2010 avec l’expansion des réseaux sociaux et des influenceuses et influenceurs. C’est une tendance qui a pris le pas sur le marketing dit classique en réponse aux changements des habitudes sociales. Les consommateurs aujourd'hui sont tous en possession d’un smartphone. C’est par là qu’ils sont touchés par des campagnes de publicités, à travers leurs réseaux sociaux. Tous y passent entre 2 à 6 heures par jour, toutes tranches d’âge confondues. Alors, il est aisé de capter leur attention et d’attendre les partages.

Pourquoi un tel revirement ? 
La réalité est que les affiches dans l’abribus, les panneaux dans les galeries commerciales ne touchent plus autant les cibles qu'auparavant. D’abord, parce que la GenZ et les Millenials sont des consommatrices et consommateurs ultra-connecté.es aux écrans. Nous déployons nos forces là où sont tournés les regards. Ensuite parce que ce public n’accroche pas les contenus désincarnés et standardisés. Nous pouvons “communautariser” les campagnes sans faire exploser le prix de production. En effet, les marques ont des budgets conséquents pour la communication et le marketing. En général, ils tournent autour de 20% du chiffre d'affaires. Avec le marketing viral, nous travaillons un peu plus à multiplier la publicité d’un seul produit pour plusieurs cibles. Sauf que comme cela passe par le numérique et non plus par le papier, que les futurs clients deviennent eux-mêmes des agents de diffusion, que les influenceuses et influenceurs travaillent la mise en scène, la plupart du temps, en toute autonomie, on s’y retrouve évidemment !

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