NOS VÊTEMENTS D'AUJOURD'HUI SERONT LE MONDE DE DEMAIN
Comme il est intéressant de remarquer le rôle prémonitoire de l’industrie du textile sur le développement de la société toute entière ! Au cœur de la première révolution industrielle, elle est le premier cœur de métier à progressivement délaisser son artisanat majoritairement rural pour concentrer de nouvelles forces ouvrières dans les villes. Le savoir-faire familial sera remplacé par un travail à la chaîne où des machines brevetées s’interposeront entre le travailleur et son ouvrage.
La révolution n’est pas moindre. Fini le temps des artisans maîtres de leurs savoirs et de leurs outils. Les cordonniers, baracaniers ou linatiers ont disparu au point où la dénomination même de ces métiers se perd dans l’obscurité du temps. Malheureusement, la disparition des mots s’accompagne de celle des savoir-faire associés pour les artisans. Peut-être aussi pour nous ?
Cette première révolution industrielle est une bifurcation historique. Avec elle, nous entrons pleinement dans l’époque contemporaine. Les innovations techniques iront croissantes de manière exponentielle. Peu à peu nous inventerons la machine à vapeur, l’homme dans l’espace et le numérique. Nous en profiterons autant qu’il faudra relever les défis qui y sont associés ; veiller à la préservation de notre biodiversité, de notre bien-être social et de notre quête de sens.
Tout cela part du textile. Du vêtement que l’on faisait et que l’on ne fait plus. Que l’on réparait et que l’on jette. Que l’on transmettait à nos enfants et que l’on change désormais à chaque saison. Puisqu’il est nécessaire aujourd’hui de dépasser notre époque, dépasser ses contradictions et ses impasses anxiogènes, pourquoi ne pas commencer par là où tout a commencé, par nos habits ?
Cela n’est pas anodin. En 2017, l’empreinte carbone de l’industrie de la mode était supérieure à celles des vols internationaux et des transports maritimes réunis. Du fait de l’explosion des ventes et de l’utilisation croissante de produits polluants, celle-ci pourrait atteindre 26% des émissions totales d’ici 2050. Tout cela sans compter les déversements de produits chimiques ou la maltraitance de la main d’œuvre dans les pays devenus principales producteurs. Le textile, c’est le cœur du changement.
Pour nous accompagner dans une démarche libératrice concernant nos habits, des petits guides ont déjà été rédigés. Nous apprendrons à privilégier certains produits respectueux de l’environnement et de l’humain, à résister contre les pulsions d’achat inutiles que la fast-fashion nous fait subir, à distinguer le vrai du faux dans les étiquettes noyées par le greenwashing. A acheter moins mais mieux, à réparer nos vêtements aujourd’hui et, qui sait ? à se les créer demain.
Nous apprendrons à nous politiser, enfin, car nos seules bonnes initiatives compteront mais ne suffiront pas. Il faudra revoir nos systèmes de production, proscrire ce qui détruit le vivant, relever les standards environnementaux et sociaux. Il faudra exiger de nos industriels qu’ils ne nous habillent pas avec la fin du monde. Le combat est grand mais il est beau et il peut commencer dès demain. Fini les T-shirts à 2 euros et bonjour les cours de couture ! Petit à petit « nous tisserons », comme chantaient nos camarades canuts, tisserands lyonnais d’un autre temps, « le linceul du vieux monde ».