Eric Piolle : Maire nature face au PIB

Eric Piolle, maire de Grenoble, s’inscrit dans une tradition écologique de transformation de la ville. Mais la métamorphose n’est pas seulement environnementale, elle se veut aussi sociale et démocratique. Le Maire de Grenoble doit faire face à certaines contradictions apparentes et aux obstacles du libéralisme. Il a répondu à nos questions.

Depuis son élection en 2014, Éric Piolle, maire de Grenoble, a mené une série d'initiatives marquantes pour continuer la transformation de la ville alpine. Cantine bio, écoquartiers, monnaie locale, tarifications sociales, énergies vertes… Des multiples projets qui s’inscrivent dans un flou artistique entre une décroissance possible et une recherche d’attractivité économique dans l’univers du PIB.

Le Maire écologiste de Grenoble, membre d’EELV, qui milite en faveur de valeurs humanistes et pour la transformation sociale et écologique de l'économie, nous éclaire sur certains points.

Eric Piolle par Greenbox via Wikimedia commons
Eric Piolle, maire de Grenoble © Greenbox / Wikimedia commons

En 2020, l’abstention monte à 57% malgré les efforts pour encourager la participation citoyenne, comment expliquez-vous cette contradiction ?
Par rapport aux villes de la même taille, Grenoble a rencontré une abstention similaire, voire moindre : Lille environ 58%, Dijon 55%, Saint-Étienne environ 70%, Villeurbanne 70% puis 75%, Nice environ 62%, etc.

La crise de la covid a eu un impact important sur les élections municipales partout. Par ailleurs, nous sommes parmi les seuls avec la liste Grenoble en Commun à avoir augmenté le nombre de votant-es entre 2014 et 2020, ce qui montre qu'il y a un vrai élan à Grenoble et que ce sont surtout les oppositions qui n'ont pas réussi à mobiliser leur électorat.

La démocratie participative permet d'autres manières de participer à la décision politique (budget participatif, convention citoyenne, covid, dispositifs d'interpellation citoyenne, etc.) mais elle doit sans cesse se renouveler, aller chercher les habitant-es plus éloignés, notamment les jeunes (d'où des actions vers les lycéen-nes comme la remise de la carte électorale).

Voyez-vous un lien entre cette participation citoyenne et le faible score de l'extrême droite à Grenoble lors des différentes élections ?
L'extrême droite est historiquement basse à Grenoble. Notre histoire, en tant que Commune Compagnon de la Libération, est marquée par la Résistance et un esprit rebelle et audacieux. C'est l'existence d'un mouvement social et citoyen fort qui a porté une équipe de rassemblement de la gauche et des écologistes au pouvoir en 2014. En portant un projet d'émancipation, d'avancées sociales et écologiques et un discours fort d'ouverture, d'accueil... on laisse peu de prise aux idées d'extrême droite !

Est-ce que le fait d'être une Ville en Transition est supposé avoir un impact sur le bien-être des gens, leur niveau de vie ou même l'emploi ?
Comme toutes les grandes villes, Grenoble concentre les populations précaires, et il y a des mouvements de populations importants pour les activités professionnelles. Il est plus judicieux de raisonner en termes de bassin d'emploi. Le taux de chômage sur le bassin d'emploi grenoblois se situe autour de 6%, un des taux les plus bas de France.

L’insécurité grenobloise est pointée du doigt dans plusieurs articles, même si globalement les chiffres ont tendance à baisser depuis 2016. Comment expliquer cela ?
On distingue trois types d'insécurité : les violences faites aux femmes et intrafamiliales, qui sont un véritable fléau à l'échelle du pays, à Grenoble comme ailleurs. Les incivilités comme les vols où Grenoble est autour de la moyenne nationale. Et les violences liées aux trafics, notamment de drogue.

Située à la croisée des chemins entre Genève, Marseille ou Lyon, Grenoble est touchée par ces trafics. La France est en échec, avec la politique la plus répressive d'Europe sur les drogues, c'est aussi le pays le plus consommateur de cannabis du continent, avec un problème majeur de santé public pour les adolescent-es, et nous sommes également un des pays les plus consommateurs de cocaïne. À Grenoble, nous nous mobilisons pour la légalisation du cannabis, afin que la Police nationale cesse d'écoper la mer à la petite cuillère, que les personnes vivant dans les quartiers touchés par le deal puissent se sentir en sécurité, et qu'une vraie politique de sensibilisation et de santé publique puisse être mise en œuvre.

Grenoble compte 24% de logements sociaux, contre 15,6% en moyenne nationale. Vous visez les 30% en 2030. Quel est le but de cette politique ?
Le logement social a plusieurs fonctions : celui de loger à un prix modeste les habitant-es, de limiter leur taux d'effort logement qui s'envole partout en France. Le logement social, c'est la mixité sociale [...] mais nous avons encore 7000 demandes en attente.

La présence de nombreux logements sociaux dans une ville a une fonction de régulation du marché de l'immobilier : lorsque cette solution au loyer régulé existe, cela limite la tendance haussière des loyers du privé et, en cascade, des prix de l'immobilier et du foncier. Nous avons d'ailleurs obtenu récemment l'encadrement des loyers sur l'agglomération, afin de lutter contre les abus de certain-es propriétaires.

Une ville en Transition dans un système capitaliste souffre-t-elle de son environnement économique national ?
À Grenoble, le contexte politique est en effet défavorable. La Métropole, élue au suffrage universel indirect, est gouvernée par une majorité plurielle et mouvante dont nous faisons partie, mais avec une liberté de parole limitée. Nous pensons en effet que nous pourrions aller beaucoup plus loin sur les politiques publiques. D'autre part, nous ne sommes pas en accord avec la méthode de gouverner, assez opaque, centralisée et qui tombe souvent dans un discours politicien anti-ville-centre ou anti-écolo.

Le Département est dirigé par LR, ainsi que la Région, dont le président est Laurent Wauquiez. Et le pays est dirigé par Emmanuel Macron, qui ne brille pas par son enthousiasme à réduire les inégalités et répondre aux objectifs des Accords de Paris. Nous rencontrons des blocages importants sur les politiques publiques, sociales et écologiques nécessaires, sous prétexte que les changements sont trop rapides pour la population. Certains exercent même des représailles, allant à l'encontre des besoins et intérêts de la population.

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